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L’Immortel

Dum comentário publicado no blog do Mazen Kerbaj, recolho esta pérola iraquiana:

L’IMMORTEL
por Jabbar Yassin Hussein (escritor iraquiano, residente em França)

Je me nomme la Paix. Je suis immortel puisque je suis sans mémoire. J’ai traversé toute l’histoire, seul fuyant d’une contrée vers une autre. Cependant, je ne me souviens de rien de ma longue vie.

Ne vous étonnez pas, la pratique de l’oubli prolonge la vie. Les livres et certains de mes amis me rappellent de temps à autre mon identité et les détails de mes périples sans fin. Ainsi des parcelles de ma vie se promènent dans ma mémoire pendant quelques instants de lucidité, mais soudain l’oubli qui fait le temps les dévore.

Ne craignez rien! Mes attributs sont humains: j’ai une date de naissance, mais hélas oubliées, je porte un nom propre, j’aime la vie, je regarde la mer à l’aube, émerveillé, je suis chassé d’un paradis vers un autre, répétant le péché originel de tous les mortels. Mais je ne suis pas mortel, bien que l’oubli, cette maladie humaine, rende ma vie tragique.

Mon immortalité vient du désir des hommes, elle est reconduite de génération en génération. Savez-vous que les blessures reçues depuis la nuit des temps suffisent à exterminer la moitié des terriens? Mais moi je porte ces blessures d’un gîte à l’autre, d’un exil à l’autre, avec courage, car j’ai oublié les noms et les silhouettes de ceux qui ont tenté de me tuer tant de fois. Voyez, l’oubli est le don de la mémoire. Avec lui, on panse les blessures.

Les mythes disent que je suis né en Mésopotamie, selon la volonté d’un dieu de l’entourage de Marduk. Certains prétendent que j’étais un dieu dans la hiérarchie divine. Avant le déluge, j’habitais dans la vieille cité d’Ur, bien avant qu’elle ne devienne ruine. C’était avant qu’un roi despote ne me chasse. Dans ma jeunesse j’ai connu Babel, je me suis promené dans ses jardins avant de fuir ver Memphis. Et de là vers Sparte. C’était l’époque où les bergers vivaient au cœur de la ville et leurs femmes allumaient le feu certains soirs afin que les hommes connaissent le jour de leurs règles. A Athènes j’ai côtoyé des architectes, des philosophes et des dramaturges, avant de me retrouver agrippé à une épave au milieu de la mer. J’ai été ballotté d’une rive à l’autre, avant de dériver vers le désert. Longtemps j’ai accompagné le prophétes bergers et des fils de roi consacrant leurs vies à la vérité. Comme eux j’ai contemplé le ciel orné d’étoiles et nous nous déplacions dans le zodiaque, cherchant le salut des hommes. Les prophètes, les philosophes et les poètes, que l’humanité admire, se sont inspirés de moi. Ce sont peut-être eux qui m’ont donné le titre de Dieu. Je ne sais plus, après ces milliers d’années, si j’étais capable de certifier tout cela. Mon amour-propre n’est plus ce qu’il était. Le monde n’est plus le monde que j’avis connu. Je ne suis pas désespéré, mais les lieux de mon exil se rétrécissent chaque jour.

Les livres disent que j’ai connu Gilgamesh, Sargon, l’Akkadien et Assurbanipal. J’ai connu Ramsès et Akhenaton, j’ai connu Euriclès, Alexandre et Darius. J’ai connu Jules César et Trajan, j’ai connu Constantin et des rois de Mandchourie et du Népal, j’ai connu Moïse et Mahomet, j’ai connu les rois Wisigoths, les Normands, les rois nomades et les califes arabes, j’ai connu les Almoravides, Charlemagne et Haroun al-Rachid, Hülägü Khan et Tamerlan, j’ai connu Mehmet le Conquérant et Magellan et Pizarro et Cortés, Napoléon et Custer, Foch et Hitler, Staline, Truman, Saddam, Shamir et Sharon et je les ai tous maudits. J’ai connu tant de despotes à figure humaine, menant sous mille prétextes mensongers leurs semblables vers le champ du déshonneur; la brèche de l’enfer où la mort les attendait. Tous ceux que j’ai damnés m’ont chassé comme Dieu a chassé les premiers hommes du paradis.

Dieu merci, je n’ai plus de mémoire, moi l’immortel! mais les fidèles savent mon errance dans les contrées proches et lointaines. Ils ont trancrit ma mémoire dans les livres et l’ont transmise avec la parole. Ils m’ont placé là où je dois être, dans la lutte entre les instincts et les lois. Toujours je fus le vaincu, l’exilé, le banni, le solitaire, mais l’ami des cœurs purs. Ceux-là m’ont façonné selon l’image de l’âme chez les peuples anciens: la colombe peinte par un Espagnol dont j’ai oublié le nom est mon image aujourd’hui. Nos anciens amis des civilisations disparues m’avaient donné la forme d’un homme ailé, d’autres m’avaient conçu sans attributs, comme une divinité évanescente, lumière des lumières. Mais en vérité, je suis comme les hommes, je souffre et je jouis, j’aime les arbres et l’eau, et les sentiers qui sillonnent les près. J’aime le temps des moissons et j’écoute les gémissements des amants.

Je me nomme La Paix, j’habite sur la terre, depuis la nuit des temps. C’est moi l’inventeur de la flûte de roseau, j’ai appris aux premiers hommes l’art de la semence. C’est moi le créateur de l’amitié entre le cheval le chameau et l’homme. C’est moi qui ai martelé les premiers métaux bien avant Vulcain, créant ainsi la charrue et le pendentif.

J’ai sculpté la pierre et fait cuire la brique, j’ai dessiné la première lettre sur l’argile, je suis toujours vivant et je ne mourrai pas. Je suis de la dynastie des immortels comme les arbres, les nuages et les cieux. Je suis un immortel sans mémoire, car la mémoire est donnée aux hommes éphémères. Je suis parmi vous, je vous suis antérieur, et ceux que je rencontre me racontent mes périples. La mémoire de la veille n’est pas effacée encore, et le jardinier qui m’accompagne m’en rapporte les détails.

Mes dernières nouvelles :

J’ai séjourné au Viêtnam avant d’en être chassé vers les forêts lointaines. Je suis allé en Irak, le pays que j’avais connu jadis, et j’ai été jeté à travers le golfe en flammé. De loin, je voyais sa terre incendiée et les flammes toucher le ciel, et les perdrix fuyaient comme devant les horribles moissonneuses. De la Bosnie je fus refoulé dès mon arrivée. Au Soudan mon séjour dura le temps du trajet. Je traversai l’océan et ne pus poser le pied sur le sol afghan, où même les montagnes crachaient le feu à Tora-bora. Les flammes avançaient toujours vers l’est.

Aujourd’hui, je suis en compagnie du jardinier sage. J’habite dans son jardin, en quête de mémoire. Chaque soir je me noie dans l’oubli, mais les paroles de mon compagnon, à l’aube, me redonnent la mémoire. Je crains de ne pas avoir d’autre lieu. Dans le jardin je me souviens d’un rêve, d’un lieu où j’ai vécu un jour. Je ne sais plus. Maintenant, combien je suis las! Comme si j’avais vieilli! Et je ne veux plus quitter ce jardin. Les bûchers se préparent de toute part. Savez-vous que le feu annonce la fin de mon immortalité ? Moi qui ai traversé le temps en fuyant les brasiers.

Je ne suis pas lâche, mais comme les hommes j’aime la vie. Je veux me reposer en aimant la fleur, dans un grand jardin comme la terre.

Jabbar Yassin Hussein (inédit)

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